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Philosophie à la portée

 
 
 

Philosophie

 

Pour que la Philosophie ne sera plus affaire des Grands

 
 
 
 

Epicure : "Il n'y a pas d'âge pour philosopher"

 
 

Quand on est jeune, il ne faut pas hésiter à philosopher, et quand on est vieux, il ne faut pas se lasser de philosopher. Il n'est jamais ni trop tôt, ni trop tard pour prendre soin de son âme. Celui qui dit qu'il n'est pas encore ou qu'il n'est plus temps de philosopher, ressemble à celui qui dit qu'il n'est pas encore ou qu'il n'est plus temps d'atteindre le bonheur. On doit donc philosopher quand on est jeune et quand on est vieux, dans le second cas pour rajeunir au contact du bien, par le souvenir des jours passés, et dans le premier cas, afin d'être, quoique jeune, aussi ferme qu'un vieillard devant l'avenir. Il faut donc étudier les moyens d'acquérir le bonheur, puisque quand il est là, nous avons tout, et quand il n'est pas là, nous faisons tout pour l'acquérir. [...]

 

Attache-toi donc à ces idées et à celles du même genre chaque jour et chaque nuit, en y réfléchissant à part toi, et avec un ami semblable à toi, tu ne seras jamais troublé, ni dans tes songes, ni dans tes veilles, et tu vivras parmi les hommes comme un dieu. L'homme qui vit au milieu de biens immortels n'a plus, en effet, rien de commun avec les mortels.

 
Lettre à Ménécée (lettre conservée par Diogène Laërce), 
début et fin, traduction R. Genaille (1933).
 
 
 
 
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Marc Aurèle : "Propriétés de l'âme raisonnable"

 
 
 
 

Voici les propriétés de l'âme raisonnable : elle se contemple elle-même, se plie, se tourne et se fait ce qu'elle veut être; elle recueille les fruits qu'elle porte, au lieu que les productions des plantes et des animaux sont recueillis par d'autres. En quelque moment que la vie se termine, elle a toujours atteint le but où elle visait. Car il n'en est pas de la vie comme d'une danse et d'une pièce de théâtre, ou d'autres représentations, qui restent imparfaites et défectueuses si on les interrompt. À quelqu'âge, en quelque lieu que la mort la surprenne, elle forme du temps passé un tout achevé et complet, de sorte qu'elle peut dire : «J'ai tout ce qui m'appartient.»

 

De plus, elle parcourt l'univers entier et le vide qui l'environne; elle examine sa figure. Elle s'étend jusqu'à l'éternité; elle embrasse et considère le renouvellement de l'univers fixé à des époques certaines; elle conçoit que nos neveux ne verront rien de nouveau, comme ceux qui nous ont devancés n'ont rien vu de mieux que ce que nous voyons, et qu'ainsi un homme qui a vécu quarante ans, pour peu qu'il ait de l'entendement, a vu, en quelque manière, tout ce qui a été avant lui et qui sera après, puisque tous les siècles se ressemblent.

 

Les autres propriétés de l'âme sont l'amour du prochain, la vérité, la pudeur, et de ne respecter personne plus que soi-même, ce qui est le propre de la loi. C'est ainsi que la droite raison ne diffère en rien des règles de la justice.

 
Pensées, livre XI, art. 1, 
traduction M. de Joly (1803).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Le rêve et l'invisible

 
 
 

LE REVE COMME MANIFESTATION D'UNE TRANSCENDANCE

 
 

Le rêve n'est pas un fait brut. Comme tout produit de l'imaginaire, il relève des rapports que les hommes créent puis entretiennent avec un autre monde, invisible, qui double le monde réel, désespérément vide de sens. Ce vide essentiel du monde matériel est à l'origine d'une caractéristique universelle des cultures humaines, liée au langage qui les distingue de l'animalité : l'exigence symbolique, c'est-à-dire la nécessité d'une distinction entre le monde des choses et celui des représentations. Cette exigence est satisfaite par une instance, différente selon les sociétés, qui gère la distance entre le réel et sa représentation consciente et surtout inconsciente, entre le réel et le sens qu'on lui donne. Cette instance légitime en même temps cette attribution de sens.  
S'il faut, pour prétendre à l'humanité, donner du sens au réel matériel qui en est vide, où aller le puiser? Alors que la réponse contemporaine, diversement appréciée, se résumerait en un lapidaire " dans la science ", les médiévaux répondaient dans l'Eglise, et les Grecs sur l'Olympe. La religion a géré et institué pendant des siècles ce clivage entre ce monde-ci (insensé) et l'autre (qui le gouverne). Que cet autre monde soit le produit de l'imaginaire ne lui enlève rien de sa puissance, au contraire, pourvu que justement une instance, l'Eglise ou le sorcier, institue le rapport aux images qu'il suscite.

 
 

Toute organisation sociale, c'est-à-dire toute vie en groupe, appelle une instance, pas toujours une institution, qui légitime par son autorité acceptée la véracité des discours. On peut évoquer ici un concept utilisé par Pierre Legendre en psychanalyse, celui de tiers séparateur: dans la relation oedipienne, le père impose à l'enfant, par la relation qu'il a avec la mère, la séparation, la " dé-fusion "; son autorité en devient telle qu'il représente la Loi, " l'instance qui dit le vrai ", au niveau symbolique individuel. De même, dans la vie en groupe, le recours inévitable à un langage qui représente la réalité engendre le clivage entre les choses et les mots. Autrement dit, la vie sociale implique une instance qui assume la fonction mythologique. Toute société a besoin de mythes conçus comme un ensemble de discours considérés comme disant la vérité sur l'origine, l'histoire, les héros, le passé, etc., et normatifs, parce qu'ils énoncent la causalité à l'oeuvre dans le monde matériel.

 
 

Ainsi, le rêve résulte-t-il toujours d'une activité du monde invisible qui lui confère un sens; être reconnu comme tel nécessite l'adhésion du groupe et sa cohérence avec le mythe. Qu'on pense par exemple au sort de Pénélope si, sur le divin divan de Vienne, elle avait fait au maître le récit d'une visite nocturne d'un personnage onirique, Oneiros, venu lui délivrer un oracle sur le sort de son époux. Inaudible, même pour Freud, elle l'aurait entendu tenir des paroles in-sensées.

 
 

Dans les temps obscurs comme dans la Grèce homérique, l'autre monde, invisible et abstrait bien sûr, est fort lointain; transcendance majeure de l'Olympe qui envoie des émissaires nocturnes éclairer ses desseins à un rêveur passif. A partir du VIe siècle, les échanges avec les peuples venus d'Asie apportent des éléments de chamanisme, la conviction de la séparabilité de l'âme et du corps. L'âme va désormais se promener pendant le rêve, prendre son envol vers le royaume des morts, des astres et des dieux (voir Le Songe de Jacob, ci-contre). Comme dans les sociétés animistes, le monde invisible et celui des corps entretiennent des rapports institués par la magie, inséparable compagne de l'imaginaire. Les mythes, par exemple l'orphisme, évoquent l'origine du monde, des âmes et la mentalité grecque si l'on veut, par un ensemble de paroles, defata (destin), qui agencent, pour les Grecs de cette période-là, l'ordre du symbolique qui entre autres leur permet de comprendre leurs rêves.

 
 

Le christianisme a bâti son empire sur un tel héritage. Il a rempli magistralement, comme le montre l'historien Jacques Le Goff, la fonction maîtresse qui est de dire le vrai. Devant la tentation païenne, dite " populaire ", de rendre le monde invisible du divin aussi matériel que possible, l'Eglise affirme la spiritualité absolue du monde de Dieu et le met hors de portée. Le rêve doit être alors une vision réservée à un saint, un martyr ou un évêque, l'entrevue béatifique ne pouvant être qu'exception. Mais, dans cette " société aux rêves bloqués ", comme la qualifie Jacques Le Goff, les récits de songes abondent qui donnent à voir le plus souvent un défunt soumis au feu purgatoire, implorant que les suffrages des survivants écourtent ses peines. Ces récits, que des illettrés viennent conter aux clercs, visions ou voyages dans l'au-delà, l'Eglise les christianise, leur confère sa rationalité. Tiers abstrait, elle tient à distance le besoin populaire de spatialiser la vie spirituelle. Les rêves créent des images pour se représenter, à soi-même, dans son for intérieur, l'invisible. L'Eglise ne laisse pas ce rapport à l'invisible lui échapper, et proscrit toute relation incarnée et personnelle avec le divin pour préserver son monopole. Si les rêves vrais sont l'oeuvre de Dieu, certains sont réputés trompeurs, car envoyés par Satan; et comme il est souvent délicat de s'y retrouver, elle préfère généraliser une méfiance à l'égard des rêves.

 
 

La lente montée de la subjectivité, ce discours autonome de l'intérieur qui va devenir source du monde, promeut, dans une explosion fascinante, un renversement décisif à l'aube du XIX' siècle. Le romantisme porte le fer au coeur, disqualifie la bipartition du monde, ouvre les vannes, abolit les frontières: l'âme du monde est partout -, Dieu est en nous. Son immanence répand alors sur le réel matériel lui même les caractères de ce qui est divin: l'impénétrabilité, l'inaccessibilité, l'invisibilité (et les philosophes des lumières n'y peuvent rien); aux profondeurs de notre être, la vérité obscure que la raison nous voile. Dans le sommeil de la conscience - enfin -, le rêve, comme la mort, lève ce voile et nous laisse entrevoir les entrailles du monde; il les révèle poétiquement car le rêve parle la langue adamique d'avant la chute. Le rêve romantique est une ouverture généralisée, une communion renouée avec le monde invisible, que la conscience nous cache mais qui est là, dedans comme dehors. Une question surgit incontournable: dans ce monde unique qui dit le vrai ? La dé-raison guette les romantiques, parce que l'effet séparateur du tiers s'est dissout, a ouvert la voie psychotique à la fusion entre le réel et son image, entre le monde sensible et Dieu.

 
 
 
 

L'ouverture et la fusion, forcément séduisantes, ne peuvent assurer la cohésion d'une société. Parce que nous utilisons un langage qui est aussi représentatif (et pas seulement communicatif), un clivage s'impose, une place pour le vide, une séparation et des mythes qui l'instituent. La place est toute trouvée, attirante et inouïe à l'intérieur de nous-mêmes. Le discours freudien fait écho au mythe général du XXe siècle et l'affermit. Ce mythe remplit sa fonction de nous tenir debout et de nous donner du sens. Nous croyons en lui et il nous apprend notre toute-puissance: le monde invisible comme le monde visible sont au-dedans, et la coupure, puisqu il en faut, la séparation, passe au-dedans de nous. Nous sommes la source de nos rêves. Evidence ? Certes, mais troublante parce que nous y adhérons sans faillir.

 
 

Devant cette mutation de la vérité, le XXe siècle s'attelle à la tâche, cherche dedans le monde invisible qui nous envoie nos rêves. Et il le trouve; avec des méthodes extrêmement différentes, la psychanalyse et la neurophysiologie " fouillent " notre intériorité. La place est restée marquée de tous les attributs de l'invisible, et le monde qu'on découvrira là sera nécessairement transcendant. La psychanalyse nous remplit d'un inconscient, source des rêves et de tout le reste. Ce monde invisible nous gouverne: là, dedans, il y a quelqu'un d' " autre " qui tire les ficelles. Monde invisible, complexe comme il sied, là, dedans. Dans le même temps, par d'autres détours, la neurophysiologie nous propose une conception " bouchère ", pour reprendre l'expression de Pierre Legendre à propos de la filiation, qui fait du cerveau, singulièrement du cortex, le monde invisible qui mène le bal. Pendant que " je " dors, là, dedans, tous les 90 minutes inexorablement, sans que je m'en rende compte, mon cortex s'active, fabrique mes rêves; et " je " n'y peux rien. Transcendance donc, transcendance humanisée, par le haut ou par le bas, mais transcendance toujours; et peut-être heureusement, parce qu'il faut bien que le monde ait un sens, que nous lui en trouvions un, pour ne pas sombrer. L'angoisse cependant en est le prix, puisque c'est maintenant de nous-mêmes qu'il nous faut faire sortir toute normativité.

 
 
 
Par Françoise Parot, 
Maître de conférences à l'université Paris-V
 
 

Epictète : “Ne désire que ce qui dépend de toi”

 
 
 
 

II. Souviens-toi que la fin de tes désirs, c'est d'obtenir ce que tu désires, et que la fin de tes craintes, c'est d'éviter ce que tu crains. Celui qui n'obtient pas ce qu'il désire est malheureux, et celui qui tombe dans ce qu'il craint est misérable. Si tu n'as donc de l'aversion que pour ce qui est contraire à ton véritable bien, et qui dépend de toi, tu ne tomberas jamais dans ce que tu crains. Mais si tu crains la mort, la maladie ou la pauvreté, tu seras misérable. Transporte donc tes craintes, et fais-les tomber des choses qui ne dépendent point de nous, sur celles qui en dépendent; et, pour tes désirs, supprime-les entièrement pour le moment. Car si tu désires quelqu'une des choses qui ne sont pas en notre pouvoir, tu seras nécessairement malheureux; et, pour les choses qui sont en notre pouvoir, tu n'es pas encore en état de connaître celles qu'il est bon de désirer. En attendant donc que tu le sois, contente-toi de rechercher ou de fuir les choses, mais doucement, toujours avec des réserves, et sans te hâter.

 
 

VIII. Ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent, et tu prospéreras toujours.

 
 

XIV. Si tu veux que tes enfants et ta femme et tes amis vivent toujours, tu es fou; car tu veux que les choses qui ne dépendent point de toi en dépendent, et que ce qui est à autrui soit à toi. De même, si tu veux que ton esclave ne fasse jamais de faute, tu es fou; car tu veux que le vice ne soit plus vice, mais autre chose. Veux-tu n'être pas frustré dans tes désirs ? Tu le peux : ne désire que ce qui dépend de toi. 
Le véritable maître de chacun de nous est celui qui a le pouvoir de nous donner ou de nous ôter ce que nous voulons ou ne voulons pas. Que tout homme donc, qui veut être libre, ne veuille et ne fuie rien de tout ce qui dépend des autres, sinon il sera nécessairement esclave.

 
 

XV. Souviens-toi que tu dois te conduire dans la vie comme dans un festin. Un plat est-il venu jusqu'à toi ? Étendant ta main avec décence, prends-en modestement. Le retire-t-on ? Ne le retiens point. N'est-il point encore venu ? N'étends pas au loin ton désir, mais attends que le plat arrive enfin de ton côté. Uses-en ainsi avec des enfants, avec une femme, avec les charges et les dignités, avec les richesses, et tu seras digne d'être admis à la table même des dieux. Et si tu ne prends pas ce qu'on t'offre, mais le rejettes et le méprises, alors tu ne seras pas seulement le convive des dieux, mais leur égal, et tu régneras avec eux. C'est en agissant ainsi que Diogène, Héraclite et quelques autres ont mérité d'être appelés des hommes divins, comme ils l'étaient en effet.

 
Manuel (publié par Arrien au IIe siècle), Maximes II, VIII, XIV et XV, 
traduction André Dacier (1715).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Modifié en dernier lieu le 22.04.2006
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